La Société des amis de Marcel Proust et des amis de Combray organise cette année une campagne de souscription pour financer l'acquisition d'un tableau de René Xavier PRINET (1861-1946), intitulé La Plage, Cabourg, daté de 1908. Ce tableau date de 1908, l'année où Proust commence l'écriture d'À la recherche du temps perdu. Quelques centaines de mètres seulement séparaient le Grand Hôtel de Cabourg, où il résidait lors de ses nombreux séjours dans la cité balnéaire, du Double Six, villa du bord de mer dans laquelle l’artiste vivait. S'il n'y a pas de preuve formelle que les deux hommes se rencontrèrent, force est de constater que l'ambiance dépeinte par Prinet correspond exactement à celle que Proust décrit, par exemple : Si vous possédez déjà un compte sur la boutique en ligne de l'association, veuillez noter que ce compte n'est pas valable sur ce site de souscription. Vous avez la possibilité, nullement obligatoire, de créer un autre compte sur ce site spécifiquement créé pour les besoins de la souscription. |
Issu d’une famille de notables francs-comtois, René-Xavier Prinet intègre en 1880 l’atelier du peintre Jean-Léon Gérôme à l’école des Beaux-Arts. Parallèlement à ses cinq années d’apprentissage auprès d’un maître au faîte de sa gloire, il étudie à l’Académie Julian, où il se lie d’amitié avec plusieurs peintres de sa génération : Lucien Simon, André Dauchez, René Ménard, Charles Cottet et George Desvallières. Remarqué dès ses premières participations au Salon des Artistes Français entre 1885 et 1889, Prinet privilégie à partir de 1890 le plus libéral Salon de la Société Nationale des Beaux-arts, fondé cette même année par Puvis de Chavannes.
Médaillé d’or à l’Exposition Universelle de 1900, nommé chevalier de la Légion d’honneur, Prinet bénéficie au tournant du siècle d’une solide réputation. Il participe avec plusieurs de ses amis artistes à la fondation de la Société nouvelle de peintres et de sculpteurs, présidée par Gabriel Mourey puis Auguste Rodin, dont les expositions organisées chaque année entre 1900 et 1914 à la galerie Georges Petit connaissent un franc succès. En 1904, il se fait à son tour enseignant en créant avec Lucien Simon et Antoine Bourdelle les ateliers de l’Académie de la Grande Chaumière. Exposant régulier aux manifestations internationales, notamment au Carnegie Institute de Pittsburgh à partir de 1911, il est nommé secrétaire de la Société Nationale des Beaux- arts en 1913. Après la Grande Guerre, il prend part à la création du Salon des Tuileries en 1923, et assure la direction d’un atelier à l’École des Beaux-Arts entre 1926 et 1931. A nouveau médaillé à l’Exposition internationale des arts et des techniques de 1937, il est élu à l’Académie des Beaux-Arts en 1943.
Figurant la plage de Cabourg en 1908, la grande huile sur toile qui nous intéresse ici compte, tant par son sujet normand que par sa technique plus luministe, parmi les productions les plus recherchées de Prinet. En 1894, peu après avoir épousé Jeanne Jacquemin, le peintre effectue son premier séjour dans la villa « Double-Six », propriété de ses beaux-parents implantée sur le front de mer de la station balnéaire. Immédiatement séduit par l’élégance singulière et pittoresque de la cité côtière, il décide d’y installer un atelier pour y puiser de nouveaux sujets, en particulier durant l’été. Profitant au tournant du siècle d’une brusque mode, au point d’apparaître comme une rivale de Trouville et de Deauville, Cabourg connaît alors une importante expansion. Elle devient peu à peu l’un des lieux de villégiature les plus prisés des parisiens, au point d’inspirer directement le "Balbec" décrit par Marcel Proust dans la Recherche. Comme le romancier, Prinet témoigne dans son œuvre peint de la vie mondaine et familiale des bords de mer, et retranscrit avec acuité l’atmosphère de la Belle-Époque, dans une facture suggestive qui doit beaucoup à l’impressionnisme d’Eugène Boudin.
C’est au cours de ses promenades sur la plage de Cabourg que l’artiste croque sur le vif baigneurs, enfants, pêcheurs et cavaliers. A partir de ses dessins, mais aussi de photographies, il crée d’importantes toiles dans son atelier à Bourbonne-Les-Bains et à Paris. Pour notre tableau, le peintre a structuré sa composition en juxtaposant plusieurs personnages en plans serrés sur une grande étendue diagonale de sable jaune, contrastant subtilement avec les teintes bleutées de la mer à gauche et du ciel en partie supérieure. Le premier plan, comme désert, n’est animé sur la partie droite que par le désordre de deux chaises vides, l’une renversée, l’autre plantée en déséquilibre dans le sol. Elles semblent attendre le jeune couple qui campe sur la gauche de la toile, abrité sous son ombrelle blanche et attirant naturellement notre regard. Élégants, sans doute mondains mais comme figés, les deux jeunes gens paraissent poser pour le peintre. Derrière eux, de part et d’autre, sur la plage, des gouvernantes surveillent des petites filles déambulant ou jouant sur le sable, une baigneuse enveloppée de blanc remonte vers sa tente, tandis qu’on distingue au fond d’autres couples bigarrés sous ombrelles, ainsi qu’un pêcheur appuyé sur sa barque qui vient comme clôturer notre champ de vision. On aperçoit encore en haut à droite, au-dessus des tentes à rayures rouges, la silhouette ombragée du célèbre kiosque à musique de la digue. Prinet a privilégié les teintes claires, l’harmonie des couleurs vives et primaires, alors qu’un soleil encore très haut vient accentuer les contrastes et marquer les ombres.
Daté de 1908, et précisément exposé cette même année au Salon de la Société Nouvelle à la galerie Georges Petit, notre tableau est largement salué par la critique. L’exposition en elle-même semble connaître un franc succès auprès de la presse spécialisée, comme en témoignent les éloges de François Monod dans Art et Décoration : « Quelques fortes et complètes natures d'artistes chez qui la main du coloriste est au service d'une vision pénétrante de la nature, d'une imagination réfléchie, de belles ou de vigoureuses conceptions ; plusieurs des noms qui représentent aujourd'hui les forces vives de l'art français ; autour d'eux, une douzaine de peintres qui, avec la diversité de leurs inclinations, ont en commun soit une sensibilité curieuse et délicate dans l'analyse ou dans la fantaisie, soit au moins une note de finesse et de distinction. Ainsi composée, la Société de peintres et de sculpteurs, l'ancienne Société Nouvelle, reste unique au milieu de tant d'expositions, par une tenue supérieure de métier et de goût. Sa réunion n'a jamais été plus belle que cette année1. » S’il considère également la manifestation comme l’« une des plus agréables expositions qu’ait organisées ce groupe choisi2 », Arsène Alexandre tient à citer dans le Figaro les œuvres de Prinet parmi les « bonnes choses3 ». Cet avis est aussi partagé par un critique du Gil Blas qui, s’il n’hésite pas à qualifier le vernissage de l’exposition comme l’un « des plus brillants4 », souligne en particulier « les vues de plages, charmantes et libres, de René Prinet ». En effet, parmi les six œuvres présentées par l’artiste5 , quatre ont pour sujets des scènes côtières de Cabourg6 et sont le plus souvent davantage remarquées pour leurs aspects plus modernes. Ainsi Alfred Jousselin salue les « marines claires, gaies, lumineuses, d’un sentiment très agréable, portant la signature de M. René Prinet7 », et François Thiébault-Sisson se fait élogieux dans les colonnes du Temps : « Prinet a-t-il porté plus haut que dans son Salon rouge, ses Baigneuses, sa Plage et sa Digue les qualités de matière et de couleur qui font de lui un des peintres les plus séduisants de notre temps8 ? ». Eugène Hoffmann perçoit quant à lui dans notre œuvre l’illustration d’un certain renouvellement esthétique et plastique de son auteur : « M. Prinet est un délicat peintre d’intimités, parce qu’il est né observateur ; son talent d’observation le conduit à de charmantes trouvailles, quand il attaque le plein-air : La Plage, la Vague sont de savoureux morceaux d’artiste, frappés au bon coin9. »
Enfin, laissons le soin à Edouard Sarradin de conclure notre propos, en apportant sous sa plume la confirmation que notre tableau constitue bien une œuvre charnière au sein du corpus peint de Prinet, en faisant basculer ce dernier dans une plus grande modernité, toujours empreinte d’une singulière poésie : « Nous l’aimons, René Prinet, pour tout un passé d'œuvres discrètes et finement harmonieuses où jamais l'habileté ne fut supérieure au sentiment et nous l'aimons pour ce qu'il s'est, depuis quelque temps, renouvelé son regard, s'est détourné des demeures provinciales ou règne, parmi les vieux meubles familiers, quelque nostalgique mélancolie, et voici ce très sensible artiste plus près de la lumière du jour, plus près de la vie d'aujourd'hui. D'une palette où le soleil s'est posé, d'un pinceau qui s'est assoupli dans la liberté, René Prinet a peint La Plage, des Baigneuses, et l'on ne s'étonne point qu'il y ait mis beaucoup d'esprit, de cet esprit qui tient à l'observation même et qui d'un moment de réalité crée une sorte de poème vivant10. » 1 : Monod, François, « Chronique - L’Exposition de peintres et de sculpteurs », Art et Décoration, Supplément, avril 1908, p.1 |